Pilla

The Velike

Mercredi 4 janvier 2012 à 21:07

http://pilla.cowblog.fr/images/sagessedesert.jpgThomas Merton, La sagesse du désert, aphorismes des Pères du désert

Livre court lu pendant ma semaine à Marrakech, acheté là-bas aussi, un peu par hasard, dans un Virgin... Un livre court donc, un petit bijou synthétique (!) ; à dévorer sans modération <3

L'anonymat y est appréciable. Et ces Pères du désert, tels les grains de sable qu'emporte le vent, vont et viennent dans la société de Dieu, bien loin de la société civile qui, déjà à leur époque, IVe siècle après J.C., commençait à se fourvoyer. Enfin ce n'était rien comparé à aujourd'hui ! Un aphorisme est d'ailleurs tout à fait parlant sur ce point, comme il n'est aussi nul besoin de s'adonner à quelque divination pour se rendre compte de la marche du monde.

Divination... divinisation... enthousiasme... tout ça... tout ça...
*

NOTE DE L’AUTEUR

Ce choix d’apophtegmes est tiré des Verba Seniorum.
L’auteur est moine.

Puissent ceux qui ont besoin de ces apophtegmes et qui les aiment être encouragés, par leur goût d’eau limpide, à suivre le ruisseau jusqu’à sa source.

 

INTRODUCTION

11 : Au IVe siècle après J.C., les premiers ermites chrétiens.
Leurs raisons, nombreuses et variées, peuvent toutes se résumer en quelques mots : « la quête du salut ».

12 : Le fait que l’Empereur était maintenant chrétien et que le « monde » interprétait la Croix comme un signe de pouvoir temporel ne fit que les affermir dans leur résolution.
En d’autres termes, pour eux, la seule société chrétienne était spirituelle et supraterrestre ; c’était le Corps mystique du Christ.

12 – 13 : Les Pères du désert, en réalité, « affrontèrent les problèmes de leur temps » en ce sens qu’ils firent partie du petit nombre d’hommes qui furent en avance sur lui et ouvrirent la voie au développement d’une société nouvelle. Ils représentent ce que les philosophes sociaux modernes (Jaspers, Mumford), appellent l’apparition de l’ « homme axial », précurseur des personnalistes modernes. Les XVIIIe et XIXe siècles, avec leur individualisme pragmatique, ont dégradé et corrompu l’héritage psychologique de l’homme axial qui venait des Pères du désert et des autres contemplatifs ; ils ont préparé le terrain pour le vaste retour à la mentalité de masse qui nous domine aujourd’hui.

14 : Les Pères du désert refusaient de se laisser mener par les hommes, mais ne désiraient nullement les diriger eux-mêmes.
Ce que les Pères cherchaient avant tout, c’était leur vraie nature, dans le Christ. Et, pour le faire, ils devaient rejeter complètement le moi faux et conventionnel que les obligations sociales du « monde » avaient forgé.
Ils cherchaient un Dieu qu’ils pouvaient seuls trouver, et non un Dieu « donné » sous une forme stéréotypée, fixée par quelqu’un d’autre.
> Que cela parte de Soi.

16 : Ils ne pouvaient s’identifier en aucune manière à leur être superficiel, transitoire, créé par eux de toutes pièces ; ils devaient se perdre dans la réalité intérieure et cachée d’un moi transcendant, mystérieux, à peine connu, fondu dans le Christ. Ils devaient mourir aux valeurs de l’existence éphémère comme le Christ était mort à elles sur la Croix et ressusciter des morts avec Lui à la lumière d’une sagesse entièrement nouvelle.

17 : Une vie de solitude et de labeur, de pauvreté et de jeûne, de charité et de prière, qui effaçait le vieux moi superficiel et laissait apparaître peu à peu l’être vrai et secret dans lequel le croyant et le Christ ne formaient plus « qu’un seul Esprit ».
Enfin, le but immédiat de tous ces efforts était la « pureté de cœur » - une vision claire et livre de la véritable condition humaine, une connaissance intuitive de notre réalité intérieure telle qu’elle est ancrée, ou plutôt perdue, en Dieu par le Christ.

17 – 18 : Le « repos » (> equ non-agir) que cherchaient ces hommes était simplement l’équilibre et la modération d’un être qui n’est plus obligé de se regarder, parce qu’il est porté par la parfaite liberté qu’il trouve dans ce repos. Porté où ? Partout où l’Amour, c’est-à-dire l’Esprit divin, juge bon d’aller. Le repos était donc une sorte de vide (> cf Lie-tseu) et d’absence de volonté propre qui ne se préoccupaient plus d’un moi faux ou limité. En paix dans la possession du sublime « Rien » l’esprit restait attaché secrètement au « Tout », sans essayer de savoir au juste ce qu’il possédait.

18 : A bien des égards, par conséquent, ces Pères du désert ressemblaient aux Yogis indiens et aux moines bouddhistes Zen de la Chine et du Japon.
De tels êtres sont tragiquement rares.

18 – 19 : Peut-être pourrions-nous en trouver parmi les Indiens Pueblos ou Navajos, mais il s’agirait de cas différents : qui présenteraient une simplicité, une sagesse innée, mais aussi l’enracinement dans une société primitive. Les Pères du désert ont rompu nettement avec une société conventionnelle acceptée, pour lancer leur vie dans un vide absurde en apparence.

19 : Les paroles et les exemples des Pères du désert font tellement partie de la tradition monastique

20 : Les Pères du désert furent des pionniers, sans autre exemple que celui des prophètes come saint Jean-Baptiste, Elie, Elisée et les Apôtres (> cités par Mehdi) qui leur servirent également de modèles. Pour le reste, la vie qu’ils embrassaient était « angélique », et ils ont suivi les sentiers inexplorés des esprits invisibles.
Ces Pères distillèrent, pour eux, une sagesse très simple et pratique, qui est à la fois primitive et éternelle et qui nous permet de retrouver les sources qui ont été polluées ou complètement obstruées par l’accumulation des déchets mentaux et spirituels de notre barbarie technologique.

21 : Quel bien retirerons-nous du simple fait que ces choses ont été dites ? Ce qui est important, c’est qu’elles ont été vécues, qu’elles jaillissent de l’expérience es niveaux les plus profonds de l’existence, qu’elles représentent la découverte de l’homme, au terme d’un voyage intérieur et spirituel qui est beaucoup plus crucial et infiniment plus important que n’importe quel voyage dans la lune.

22 : Ces pensées des Pères du désert sont tirées d’une collection classique, les Verba Seniorum, qui se trouvent dans le volume 73 de la Patrologie latine de Migne.
Tandis que les Verba sont des récits clairs, sans prétentions, qui se transmettaient oralement, selon la tradition copte, avant qu’ils ne fussent rédigés en syriaque, en grec et en latin.

24 : S’ils parlent peu de Dieu, c’est parce qu’ils n’ignorent pas que lorsqu’on s’est approché tant soit peu de Sa demeure, le silence est plus intelligent que de nombreuses paroles.

26 : Le Père était généralement un Abbé (abbas) ou un Ancien (senex).
Avec eux, ou dans leur voisinage, vivaient des « frères » et des « novices », qui apprenaient à mener cette vie. Les novices avaient encore besoin de la direction continuelle d’un Ancien et vivaient avec lui pour être formés par sa parole et son exemple. Les frères vivaient seuls, bien qu’ils se rendissent parfois chez un Ancien pour recevoir quelques conseils.

28 : La charité et l’hospitalité avaient une importance primordiale, et passaient avant le jeûne et les pratiques ascétiques personnelles.
Ce fait est d’autant plus important que l’essence même du message chrétien est la charité et l’unité dans le Christ. Les mystiques chrétiens de tous les temps n’ont pas seulement cherché et trouvé l’unification de leur être, l’union à Dieu, mais l’union avec les autres dans l’Esprit de Dieu.

28 – 29 : Demeurer ainsi prisonnier de notre égoïsme c’est, en fait, être en enfer : vérité que Sartre, tout en faisant profession d’athéisme, a exprimée de la manière la plus saisissante dans Huis clos.

30 : L’homme exige (> cf Levinas et l’exigence éthique) une transformation intérieure complète, sans laquelle il nous est impossible de nous identifier à nos frères.

30 – 31 : Nous lisons que l’Abbé Serapion vendit son dernier livre, un exemplaire des Evangiles, pour donner l’argent ainsi gagné aux pauvres, vendant ainsi « les paroles mêmes qui lui ordonnaient de se séparer de tout pour les pauvres. »
> Cf effacer le nom de Dieu pour réconcilier les hommes dans le judaïsme.

32 : Ce que nous nommerions aujourd’hui prière contemplative s’appelait alors quies ou repos.

33 : Les moines étaient fort occupés, et si le quies était le but qu’ils  cherchaient tous à atteindre, le repos du corps (corporalis quies) était l’un de leurs plus grands ennemis.
> Pousse à l’action, non-agir.
Bien que les Verba soient parfois imputés à un Ancien (senex) anonyme, les apophtegmes sont, plus souvent, attribués nominalement au saint qui les a prononcés.
Antoine fut, véritablement, le Premier de tous les Pères du désert.

34 : Certes, Antoine atteignit l’apatheia après de longues luttes, quelquefois spectaculaires, contre les démons. Mais il en conclut finalement que le démon lui-même n’était pas totalement mauvais, car Dieu ne pouvant créer le mal, toutes ses œuvres sont bonnes.
> Un sans un second.

35 : Ces moines tenaient absolument à demeurer humains et « ordinaires ». Ceci, qui peut sembler paradoxal, est très important. Si nous réfléchissons un peu, nous comprendrons que se retirer dans le désert pour être extraordinaire, c’est emporter le monde avec soi comme mesure de comparaison.
> Redescente pour le monde.
Il n’existe pas d’autre raison valable de chercher la solitude ou de quitter le monde, car c’est, en réalité, l’aider à se sauver, en faisant son propre salut. C’est la raison finale, et elle est importante.

36 : Ils savaient qu’ils étaient impuissants à faire du bien aux autres tant qu’ils restaient à se débattre au milieu des épaves. Mais s’ils mettaient pied sur la terre ferme, tout changeait. Là, ils n’avaient pas seulement la possibilité, mais l’obligation de sauver le monde.
> Equ D.M. ou O.M. et l’intention première en accomplissant la retraite.
Nous devons nous libérer à notre manière, d’un monde qui court au désastre. Mais notre monde est différent du leur. Nous y sommes davantage mêlés. Le danger que nous courons est plus terrible. Nous avons peut-être moins de temps que nous ne le pensons.

37 : trouver notre moi véritable, de découvrir et de développer notre liberté intérieure inaliénable pour l’employer à édifier, sur terre, le royaume de Dieu.
Qu’il me suffise de dire que nous avons besoin d’apprendre, de ces hommes du IVe siècle, à ignorer les préjugés, à braver les contraintes et à partir, sans peur, vers l’inconnu.
> Equ Abraham.

 

QUELQUES APOPHTEGMES DES PERES DU DESERT

41 : II
L’abbé Joseph de Thèbes disait : il y a trois sortes d’hommes qui trouvent grâce aux yeux de Dieu. D’abord ceux qui, lorsqu’ils sont malades et tentés, acceptent tout en remerciant Dieu. Puis ceux qui accomplissent leurs tâches avec pureté sous le regard du Seigneur sans chercher à plaire aux hommes. Enfin ceux qui obéissent à un père spirituel et renoncent à leur volonté propre.

42 : III
Un frère demande à l’un des Anciens : « Que puis-je faire de bien pour avoir la vie éternelle ? » Il répondit : « Dieu seul sait ce qui est bien. » Cependant, j’ai entendu dire que quelqu’un ayant posé cette question au Père Abbé Nisteros le Grand, ami de saint Antoine, il répondit : « Toutes les bonnes œuvres ne sont pas semblables. Car l’Ecriture raconte qu’Abraham pratiquait l’hospitalité et que Dieu était avec lui ; qu’Elie aimait à prier seul, et que Dieu était avec lui ; que David était humble, et que Dieu était avec lui. Par conséquent, tout ce que votre âme désire accomplir, selon la volonté de Dieu, faites-le, et elle sera sauvée. »

44 : VII
Un frère demanda à l’un des Anciens : « Comment la crainte de Dieu pénètre-t-elle dans l’homme ? » Et l’Ancien répondit : « S’il est humble, pauvre et ne juge pas son prochain, la crainte de Dieu sera en lui. »
> Plus loin Levinas.

47 : XI
L’Abbé Antoine disait : de même que les poissons meurent s’ils sont sur la terre sèche, de même les moines, s’ils quittent leurs cellules ou habitent avec les hommes, perdent la volonté de persévérer dans la prière solitaire. Par conséquent, comme les poissons doivent retourner à la mer, nous devons rentrer dans nos cellules, de peur qu’en demeurant à l’extérieur nous n’oubliions de nous surveiller intérieurement.

53 – 54 : XXVI
Un Ancien disait : nous n’avançons pas dans la vertu parce que nous ne connaissons pas nos limites, et que nous n’avons pas la patience de continuer ce que nous avons commencé. Nous voudrions devenir vertueux sans la moindre peine.

54 : XXVII
Un Ancien disait : de même qu’un arbre ne peut porter de fruit s’il est souvent transplanté, un moine ne peut porter de fruit s’il change souvent de demeure.
> Rester dans une tradition.

55 : XXX 
Un autre frère se mit à interroger le même Ancien, l’Abbé Théodore, et à lui demander des choses qu’il n’avait jamais encore mises en pratique. L’Ancien lui répondit : « Vous n’avez pas encore trouvé de navire, vos bagages ne sont encore pas à bord, vous n’avez pas commencé la traversée : pouvez-vous parler comme si vous étiez déjà arrivé à la ville où vous projetez d’aller ? Quand vous aurez mis en pratique ce dont vous parlez, vous le ferez en connaissance de cause ! »

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